Née le 5 janvier 1981, à Dijon.
Vit et travaille en France.
elodyregnier@gmail.com

TEXTICULAIRE, 2012


    Un photographe serait sans doute une antenne râteau de radio qui tirerait un portrait de ses solitudes, des réalités qu’il traverse, de ses névroses car il n’y a jamais assez d’images, tout en se complaisant dans le déficit des dernières décennies et la presse s’en charge bien volontiers.
Alors il filtre et régurgite ce qui l’entoure dans l’immédiat, avec ses rencontres, ses amours, ses engagements. 
    Un photographe ça ne se reconnaît pas, il est là c’est tout, tergiversant autant sur la santé du monde que sur la sienne, se considérant le plus souvent comme le plus gros menteur du monde. 
Il faut bien comprendre par là le retrait et les devants égocentriques de cette dernière, la photographe Elodie Régnier, ce qui est une part importante de l’affaire qu’il nous est donné de découvrir sur le mât de son fou...
    Quand on ne parle plus d’elle, elle piaille, et tente de se refaire par quelques trucs surannés qu’elle a toujours dans son panier. Elle a toujours un avis ou un commentaire du commentaire à ajouter, mais elle a une opinion plus haute que toutes, non de l’art et la manière de faire de la photographie, mais d’elle-même.
Ce qui met à mal certaines choses qu’on penserait posées dans la norme. Cependant à ajouter son grain de sel à tous les salamalèques du monde et face à ces tribulations elle ne renonce pas à tirer le portrait des hommes et des femmes dans leurs situations de travail, occupations, elle tente de  gesticuler de toutes les manières qu’il soit, pour répondre aux affligeances des comportements sociaux. En somme elle est une héroïne de l’ordinaire. 
Pour faire court je pense qu’un photographe est moins libre qu’il ne croit sous prétexte de l’oeil, car s’il y a liberté, elle ne s’éprouve que dans son renoncement. 
    Elodie Régnier évidemment se pose des règles qu’elle doit sans cesse défaire ou négocier. Cette photographe d’aujourd’hui met en place des plages de silence, elle met à l’écart et à la fois en raisonnance ces histoires de familles qui ne sont pas les siennes, des histoires de guerre qui n’en sont pas, des images de terrain vague qui n’ont de vague que le silence des dinosaures, une idée pâle de chute de la RDA. 
Au brouhaha de chacun elle s’emporte et claque la porte, n’entendant que sa propre mesure, elle se donne une sorte d’espace assez particulier qui met en retrait ce qu’elle fait seule afin de ne pas se faire phagocyter par les plus ou moins values des ordonnances de la vie tout court. 
    Elle, Elodie Régnier, en période de vache maigre devient un salut, une soupape de sécurité car nous tous nous replions sur nous-mêmes du fait des crises et des crises toujours, alors qu’elle, dans sa souveraineté, hurle son impossibilité de ne pas vieillir et de trouver dans le tragique d’une beauté du banal, son exception.
C’est une artiste! Ce sont les autres qui le disent. Pour ma part je n’en sais rien, ou bien je me méfie; elle se pose comme photographe, ça n’en dit pas plus mais c’est presque une sorte de  raison social; elle est une femme d’aujourd’hui avec des  problèmes d’homme, avec les mêmes attentes et maladies que tous sauf qu’elles sont peut-être un peu plus accélérées au vue des gourmandises et de la non-retenue. Mais c’est humain. 
On pourrait entendre qu’être artiste tiendrait d’une responsabilité au-dessus du niveau de la communauté, certes, tout comme un mécano de train, un chauffeur d’un bus ou d’un avion.
    Non! Il n’y a rien à attendre de ces trépignations, mais rire de tout avec quelques personnes, se moquer de soi demande beaucoup d’attention, voilà pourquoi cela n’a pas grande importance au vu des échelles géologiques, mais  tout ce que l’on fait résonne dans l’éternité. Il faut s’accorder le temps des autres, glisser un mot sur leurs lèvres, maltraiter des petites idées qui traînent au coin de ses feuilles de papier, et faire du travail une réalité augmentée pour qu’elle participe du présent, du concret, s’y inscrire de l’intérieur comme une sorte de chanson poussée à table  lorsque tout le monde reprend en coeur sans savoir vraiment d’où elle vient. 
En se défaisant sans arrêt de ce qu’elle croit savoir, en ne cessant de sauter à rebond sur autre chose croisé ou glané ici et là, Régnier pose ses photographies comme des évènements à la hauteur de sa prétention, c’est toujours difficile de se réinventer. 
    La manière importe peu donc, c’est le ton le plus important, et celui de cette photographe est dans la démesure bancale, du désarroi, du presque pas beau, du presque fini, pour mettre en  jeu et à mal cette idée toujours du plus grand, du beau, du plus fort, du mieux, du tout nouveau. C’est fatigant d’être le dernier, pis encore le premier, alors même qu’il faut du coeur au combat; le combat des jours est d’aller au travail, oui! 
Ne pas renoncer au jour qui se lève, mettre au boulot ses lumières.
Et dans ce foutu brouhaha, trouver des plages de silence et mettre à profit des partis pris mal foutus, brinqueballant, déchassés, etc. 
    Le monde n’est pas un, il est parcellisé, fragmenté, et vouloir le dessiner global est une connerie et pas des moindres. Il importe d’être entier, debout, vivant et sans arrêt sur ses gardes au regard des démences et autres folies qui alimentent les quotidiens. 
    Un dessin dit toujours plus qu’une photo parce-qu’il montre moins; ce sont d’ailleurs les fragments, les tessons qui nous donnent le plus grand plaisir, tout comme la vie nous donne le plus grand plaisir quand nous la regardons en tant que fragment ; on ne boit jamais une bouteille de vin au goulot, on la parcellise en nombre de verres et combien le tout nous paraît horrifiant et nous paraît, au fond, la perfection achevée. C’est seulement si nous avons la chance, lorsque nous en abordons la lecture, de transformer quelque chose d’entier, de fini, oui, d’achevé, en un fragment, que nous en retirons une grande et parfois la plus grande des jouissances. C’est seulement lorsque nous nous sommes rendus compte, à chaque fois, que le tout et la perfection n’existent pas, que nous avons eu la possibilité de continuer à vivre. 
Elodie Régnier a fait le choix d’être une grande artiste mais seul mon chien que je tiens dans la confidence le sait pour le moment. Au temps du clap de son appareil elle nous glisse des instantanés qui prennent la pose, le portrait désoeuvré d’un road-movie.
- Je sais ce que je veux pour Noël, une femme de ménage, un coach de sport très matinal et pas trop fatiguant pour les nerfs,
Un chausson de pomme tous les matins, deux trois notes de musique à la guitare sèche façon Prexl, un oreiller japonais, une machine à enregistrer de ce qui reste à faire pour demain et qu’elle le fasse, une scie à fil pour faire de la dentelle, être un peu plus amoureux le matin, mais c’est un matin, jouer à la marelle avec ma fille donc un caillou et une craie blanche il me faudrait, être un peu moins con avec tout le monde mais je voudrais seulement la notice, t’aimer un peu plus fort que ce qui n’a été, un kleenex signé Gaza, une solitude que je m’accorde sans penser à tout le monde, le manuel de l’égoïste en chinois, un week-end avec toi à la baule, c’est moi qui paie les langoustines, de préférence vers avril/mai, et un noeud à mon mouchoir de papier pour me rappeler que toujours vous êtes là,. J’en finirai monsieur Noël, une poignée de sable blanc comme premier matin du monde, et un poil de barbe de l’un de vos elfes pour garantir que vos joujoux sont fait mains. 
    Voilà en quelque sorte Elodie Régnier en mère Noël qui voit partout des couchers de soleil en format de «carte poème», cette hésitation entre le temps de prise et l’arrêt sur image, cette hésitation de percevoir quelque chose de présent comme si cela avait déjà été et à l’inverse le fait de percevoir comme présent quelque chose qui a été.


Frédéric Lecomte
2012